Julien était assis sur la terrasse, le dos contre le mur, sa tête reposant dans la jardinière contenant du jasmin. Il avait les yeux fermé et inspirait la fumée rejetée par un join qu'il tenait à la main. Cela faisait du bien de se sentir partir, détaché du monde extérieur et pourtant conscient de chaque particule de l'air.  

Helena, allongée sur le carrelage froid, la tête sur les genoux de Julien fredonnait doucement une vieille chanson Russe que lui chantait sa mère quand elle était petite.  

Elle repensait à sa vie, à sa situation actuelle et à ce geste qu'ils s'apprêtaient à commettre. Elle laissa sa main courir sur le pavement de la terrasse à la recherche de leur arme. Ses doigts tombèrent sur ce qu'elle cherchait : un petit sachet contenant une fine poudre blanche et une seringue. Elle se sentait prête.  

Maintenant?, dit elle en s'adressant à Julien.  

En réponse, Julien poussa un long soupir et chercha à tâtons les genoux d'Helena. Il n'était pas encore prêt. Bientôt, mais pas maintenant. Il avait encore à réfléchir, à peser le pour et le contre, autant qu'une telle décision puisse se faire de façon pragmatique.  

Qu'est ce qui l'avait mené à ça? A bien y penser, si peu de choses.  

Avant de rencontrer Helena Julien n'était qu'un jeune étudiant en droit tout ce qu'il y avait de plus normal. Il avait embrassé cette voie pour une seule raison : la volonté de son père pour qui le métier d'avocat était le plus prestigieux qui soit. Il se souvenait encore des longues soirées où il avait écouté son père vanter les louanges de la France, pays où il avait immigré il y avait de ça vingt ans. le pays des droits de l'homme, qu'il disait§ Celui de la liberté, et de la justice. La justice française était pour lui le symbole du prestige. Une justice sévère mais toujours juste, au service des citoyens, tous les citoyens. Julien y avait cru à cette justice. Jusqu'au jour où son ami Jimmy, son "grand frère" avait été arrêté pour recel de drogue. Accusé à tort, bien sûr, mais on n'avait rien voulu savoir. Jimmy avait été condamné à cinq ans de prison ferme alors que son casier était vierge. De désespoir, il s'était pendu dans sa cellule. Depuis ce jour, Julien n'avait plus supporté d'aller en cours. Entendre ces hommes, gonflés d'importance, lui vanter les mérites de la justice français lui donnait la nausée. Il avait parlé à son père d'arrêter les études de droit mais celui ci n'avait rien voulu entendre. C'était le meilleur moyen de s'intégrer et Julien n'allait pas gâcher ça. Il avait un avenir tout tracé mais se sentait prisonnier d'une vie qu'il ne voulait pas. Étouffé.  

julien tira une taffe sur le join qui se consumait entre ses doigts et le passa à Helena. Il la sentait vibrer, impatiente d'en finir. Elle tremblait surtout de froid, le dos contre le carrelage glacé. Elle revivait par l'esprit sa rencontre avec Julien, cet instant qui avait changé sa vie, lui avait donné un sens.  

Elle avait été une brillante actrice, courtisée par tous les plus grands réalisateurs. Elle avait aimé jouer un rôle, changer de peau le temps d'un film, vivre une vie qui n'était pas la sienne. A postériori, elle se rendait compte que tous ses rôles lui avaient ressemblé de près ou de loin : des femmes perdues, sans but dans l'existence, prêtes à tout mais sans savoir pourquoi. Jusqu'au jour où elle accepta le rôle d'une prostituée. Comme elle le faisait pour chaque film, elle s'investit à fond, cherchant à explorer la personnalité de ces femmes. Alors, elle se mit à faire le tapin. Après plusieurs clients, elle se sentit dégoûtée, une nausée ne la quittait plus. En même temps, elle se sentit étonnamment libre et heureuse. Elle disposait de son corps et le donnait contre de l'argent. Exactement comme dans son métier d'actrice, se disait elle, mais de façon plus franche. Alors elle embrassa sans complexe sa nouvelle profession. Elle était belle, elle attirait le client, elle n'eut pas de mal à trouver un mac. Elle vivait sa vie, affranchie de toute convention, heureuse peut être pour la première fois. Bien sûr, tout ne se passait pas toujours à merveille. Elle avait sur tout le corps de nombreux bleus et des équimoses qui la faisaient terriblement souffrir.  

Et puis un jour, elle avait rencontré Julien, errant désespéré sur le boulevard St Denis. Complètement soûl, il était à la recherche d'un shoot de coke. Elle s'était immédiatement prise d'affection pour lui, elle avait de la drogue, il se sentait seul, une hisoire avait commencée entre eux. Il se plongeait sans retenue dans leur passion, oubliant ainsi son carcan derrière cette passion violente. Il avait entrevu une autre vie à travers les yeux d'Helena. Elle était désespérée mais elle voulait lui montrer qu'une autre vie était possible. Celle affranchie des contraintes, une vie choisie. Elle le poussa à faire face à son père, à se battre pour faire ce dont il avait envie. Quant à lui, il s'était plongé sans retenue dans cette vie insouciante remplie de drogue, de vodka, de tout ce qu'il s'était toujours défendu.  

mais le bonheur n'avait pas duré, il ne pouvait pas durer. Le père de Julien avait tout découvert. Il l'avait suivi jusqu'à l'appartement d'Helena, un duplex en plein coeur de Belleville, et les avait surpris au lit. De fureur, il avait attrapé Julien par les cheveux et l'avait battu jusqu'à ce qu'il soit inconscient. Il ne gâcherait pas sa vie pour une catin.  

Il retira le join qui se consumait des mains d'Helena, tira une dernière taffe et le jeta au loin, du côté du tas de bouteilles vides qui gisaient dans un coin. Ça y était, il était prêt. Puisque la vie ne pouvait rien lui apporter, il voulait vivre éternellement avec Helena. Au ciel, ou où que ce soit. Ils devaient réaliser leur destin jusqu'au bout, mourir ensemble sur cette terrasse. Il se releva, embrassa Helena et lui dit : "Maintenant." Ils auraient enfin la paix.