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Prod'Artaud présente
Terre ! Terre ! Terre !

Pendant une matinée, jusqu’à 9h30, à la préfecture de Gérardmerveille, des hommes et des femmes se relaient et font la queue dans l’espoir d’obtenir un rendez-vous administratif pour régulariser leur situation sur la terre d’accueil. La présence quotidienne de centaines de personnes devant la préfecture amène de nombreuses réactions mais aussi des souvenirs déracinés. Prod’Artaud se consacre à la délicate tâche de donner la parole à ce microcosme s’ils en avaient les moyens.  

 

 

C’est à l’aurore que certains quittent les banlieues, certains marchent vite avec, aux naseaux, une brume ajoutée à la brume, certains se frictionnent sur une place encore vide et sur laquelle ils ont sans doute passé la nuit. Personne ne se plaint. L’atmosphère, particulièrement saisissante, leur donnerait presque l’air de poètes balbutiants ou de gargouilles pétrifiées. La ville aux pieds des hommes libres a une odeur de trichloréthylène, fraîche et pénétrante. Le carbone ne gonflera que vers les sept heures son smog habituel. Et pourtant, la nuit encore plombée de son feutre est léchée de quelques timides globes. Les halos ne dépassent la teinte légumineuse des néons de supermarché. Le faible rayon attire un papillon de suie. Le regard batifole sur ce minuscule être contenté par cette luminosité blafarde et, pour se réveiller, il le suit.  

 

« Sais-tu que 80 % de la faune nocturne est détruite par ces réverbères ? », dit l’homme. Une tête sort de son couchage. « Sont-ce là les fameux rêves berbères ? », répond la femme.  

 

Non loin de la préfecture de Gérardmerveille où se situait cette scène, un homme – comme nous le disions – marche à vive allure. L’heure n’est pas encore aux transports en commun. C’est pourquoi cet homme-ci, un peu vagabond d’ailleurs, un peu philosophe mal léché, marche en ne s’inquiétant ni de la fatigue ni du froid vivifiant. Il ne distingue pas même les rues désertes des trottoirs. Son corps est nerveux, presque sec. Sur son corps, les cellules graisseuses ont disparu comme neige au soleil. Si le mollet est sollicité, l’ensemble de ce corps fait penser à une viande tendineuse. Là, une voiture quitte le caniveau. Il s’agit sans doute d’un modeste manutentionnaire qui part en trombe – comme il a l’habitude – pour son travail en 3x8. Le conducteur a sans doute un enfant et une concubine qui reste à la maison pour veiller. Il a sans doute pris son petit-déjeuner au micro-onde avant de s’enfiler une ligne. Sans doute est-ce là aussi le seul repas de la journée. L’homme qui marche y pense : il envie cet ouvrier qui, malheureusement, déchante.  

 

« Une voiture… Un travail… Des papiers… Mmh… Etrange. Si la richesse l’emportait dans ce pays loin, son détenteur ne pourrait offrir de quoi sustenter l’homme le plus valeureux. Si la valeur l’emportait, l’homme vertueux ne saurait quoi faire de toute cette nourriture. Que dire alors de l’employeur de cet ouvrier qui brasse les papiers ? Et que dire de ce balayeur qui les ramasse pour les jeter ? », pense cet homme.  

 

Non loin du boulevard où se situe la dernière scène, un autre homme quitte son appartement de Montreuil, un deux pièces qu’il partage avec sa femme et sa fille. Il espère agrandir son cadre de vie en aménageant peut-être dans une maison à 15 euros par jour. Si, lui, est français, sa femme est marocaine. La mairie n’a pas voulu reconnaître le mariage qualifié de blanc. Alors il prévoit un recours préfectoral pour que sa femme, épousée à Agadir, puisse être française par d’autres moyens. Il a besoin de ces papiers pour s’installe, pour qu’elle puisse avoir elle aussi un travail. Elle est prête à quitter le voile mais pas devant ses parents à qui elle rend visite par webcam. Elle est fière de porter sur ses genoux sa fille, née sur le territoire français. Elle sera musulmane, assure-t-elle à ses parents, et connaîtra le dialecte marocain. Course-poursuite administrative, la petite fille a un prénom qui sonne français, Nathalie. Cette dernière va à l’école mais, à la moindre vague, elle rentre immédiatement de peur qu’elle serve d’hameçon pour que la maman rentre au pays natal. C’est pourquoi cet homme se bat pour obtenir l’intégration de sa femme dans la République Française. C’est pourquoi il travaille sans relâche, en espérant chaque mois toucher ce qui lui permettra de joindre les deux bouts. C’est pourquoi il monte dans sa 205 blanche pour se rendre immédiatement, dès l’aube comme Hugo dans les Contemplations, à la préfecture de Géradmerveille.  

 

Le sperme est blanc partout dans le monde. Pour certains, il a une race, une couleur, une nationalité. Si je veux ces papiers, je dois courir. Je dois être sous pression, sentir l’autorité de l’Etat français comme si je sentais les aisselles de l’actuel ministre de l’immigration. Je dois à tout prix être crédule et naïf parce que mon amour des limites, lui, est innocent. J’ai d’ailleurs son visage en photo dans mon portefeuille », clama ce troisième homme.  

 

Vous l’aurez compris, ces trois hommes se rendent à la préfecture de leur région, laquelle va se transformer peu à peu en un théâtre multiethnique. Mon premier est un coryphée, la voix de tous multipliée par les frontières. Mon deuxième est un clandestin imaginaire, tout un symbole. Mon troisième est un homme innocent, intégré et dévoué aux quatre vents.  

 

Le 28 Décembre 2014 à la préfecture de Gérardmerveille, une foule résignée fait la queue chaque jour – absolument chaque jour ouvrable, tout au long de l’année – dès les petites heures de l’aube, pour accéder aux guichets de la direction des étrangers. Une file passive de près de quatre cents personnes attendent leur tour. La foule, canalisée entre des barrières d’acier et des murets en béton, longe par ironie la trésorerie de Gérardmerveille.  

Stéphane et Khadijda, avec leur petite fille de 4 ans, Nathalie. Il est français, elle marocaine, ils sont mariés depuis 5 ans et il faut renouveler la carte de séjour de Khadijda. Pas de chance, ils habitent hors de la ville. Stéphane est venu une première fois, trop tard. Hier, il est parti de chez à 2 heures moins le quart, du matin, en voiture, pour faire la queue dès 2 heures. Il est arrivé au guichet mais on lui a dit que la présence de sa femme était nécessaire. Alors, ce matin, il est de nouveau parti à 2 heures moins le quart, toujours en voiture, tandis que sa femme le rejoignait en transport en commun sur le coup des 8 heures. Tout ça pour remplir un formulaire et obtenir un rendez-vous : le 24 février.  

Chérif vient de loin, non seulement ce matin mais également les autres jours. Un peu illuminé sur les bords, il pensait marcher vers un soleil avec des pieds nus.  

 

« Je pensais marcher vers un soleil  

Que seule m'aurait confié la pauvreté.  

Elle m'aurait chauffé dans mon sommeil,  

Sur ma longueur et en train de haleter  

 

Presque comme un chien au teint hâlé  

Qui n'a pas le bon corps ni le bon décor  

Et qui roule sur un talus laid  

La panse maudite rouée de coups d'or.  

 

N'est-ce pas là le résultat acté  

D'une âme inapte sur le flan affalé,  

Du moins ce que l'on puisse en capter  

Au travers du cercle et d'un ciel étalé »  

 

C’est ainsi que l’échevelé du ciel d’hiver déclama son vers en emboîtant le pas pressé des citadins. Il tenta en vain d’écraser les ombres et les pieds de ces autres étrangers puis entama une danse folle. Les passants qui le croisaient s’écartaient. « Que l’on fasse peur ou qu’on rayonne, c’est la même admiration au fond. Ecartez-vous bon sang ! ». Le pauvre homme n’avait pas bu depuis trois jours. Il grimaça, s’épuisa et cessa net son tournis ridicule. Il a retenu la sueur, il a sauvé les pleurs pour son pays, la Tunisie. Une migraine l’emporta pourtant. Il reparti de plus belle, courant même après qu’un chat errant, tout droit sorti d’une bouche d’égout, lui ait montré un nouveau chemin.  

 

Pour le premier homme, le premier depuis longtemps sur les lieux, c’est l’heure de la cohue moutonnière. C’est la saison de la transhumance. Ces trois cents mètres de file ressemble à une manifestation figée et intemporelle agissant sur le sol comme l’épine et l’épée mais la récurrence de ces « manifestations cliniques » fait loi de ce « problème symptomatique » et devient alors une idéologie. Alors, il y a les pour (rarement vu !), les contre, ceux qui sont tout contre et les autres… qui, de bonne foi, sont toujours dans le bon camp. L’immigration est devenue l’enjeu du pouvoir en France depuis les années 1910 en France, avec l’arrivée massive d’italiens puis de polonais. Chaque législative, présidentielle, corroborée par l’envie d’une construction européenne, est rythmée par l’orientation de l’armée de réserve immigrée pour les années à venir. Ces décisions de court terme et au compte-goutte ont toujours eu l’ambition de rendre flexible et moins onéreuse la main-d’œuvre en France.  

Depuis l’avènement du libéralisme, dès Reagan et Thatcher, caractérisé par la déréglementation des cinq lois de la concurrence saine, depuis l’avènement du néo-libéralisme, dès la chute du Mur de Berlin, caractérisé par la redistribution mondiale des moyens de production et la contre-révolution dans les pays satellites du l’ex-bloc soviétique, le mot d’ordre suprême a pour objet celui qui n’a, paradoxalement, pas de sous, mais qui a des rêves de confort – de liberté ? – et des mains pour essuyer un front, seulement lorsque ce ne sont pas les fronts de la guerre. La lèpre qui gangrène la fraternisation de tous les peuples entre eux a des responsables et on sait tous qui ils sont ! Pas de nom, pas d’adresse, pas de grade particulier ni de fonction : il ne reste que la confrontation des mensonges entre eux pour révéler l’orientation de la politique pour les « plus ou moins » immigrés de France.  

Dépossédé de son avenir, le coryphée sort de la file d’attente. La petite foule interloquée se tourne alors vers cette attraction inattendue. « Messieurs, Mesdames, votre attention, je vous prie. Un numéro de place vous sera attribué. C’est un système non officiel. Depuis cinq ans que je vis dans une tente devant la préfecture, avec ma femme, j’ai décidé de mettre en place un bureau qui vous donnera la possibilité de vous exprimer et de reprendre votre place où vous étiez avant de quitter la file. Donnez de l’argent, apportez à boire et à manger, des tables, des tentes. Nous entrerons dans l’édifice avec une cause commune mais aussi avec une parole commune ». Jusque là indifférentes, des voix s’élèvent parmi la foule. La plupart reste cois, certains n’ont pas compris, les femmes et les enfants restent immobiles. Parmi ceux qui s’agitent, le brouhaha murmuré l’emporte. Puis… « Nous ne dirons rien, nous avons peur. » dit un anonyme. « Il vaut mieux être ici qu’ailleurs » dit un autre. « Tout ce que nous voulons, ce sont des papiers ». Le coryphée se déplace, prend des notes. « Je vous donnerais des papiers car je vous reconnais. Quant à celles et ceux qui pensent que ce pays vaut mieux que vos racines, sachez qu’elles ne repousseront pas ici. Sachez que la préfecture a mis en place un quota d’entrées et de dossier par jour. Ce quota est passé de cent cinquante à trente personnes » annonce le coryphée. Nouveau léger chahut.  

Stéphane qui était resté silencieux jusqu’alors aperçoit sa femme et sa petite fille qui sortent du métro. Il leur demande d’appeler la police car la situation va dégénérer. Stéphane annonce la couleur : « Les premiers arrivés sont les premiers servis ! Il est hors de question que la situation de ma femme soit remise à plus tard ou même aggravée. Tirez-vous les bleus ou je cogne dans le tas bordel ! Toujours les mêmes qu’on voit pendu aux mêmes formulaires, aux mêmes circulaires ! ».  

 

Non mais franchement  

Quelle situation, Stéphane ?  

 

Après que la préfecture ait refoulée par la force les personnes qui n’ont pu évoquer régulariser leur situation, un vagabond arrive et meurt d’épuisement devant le bâtiment administratif. La charge des CRS à l’assaut d’un camp de Roms sans cesse expulsés lui a piétiné la figure. La justice, la mairie et le parti nationaliste de GM se sont emparés de l’affaire. Une marche est entamée pour libérer celles et ceux qui se trouvent dans le centre de rétention au nord de la ville et où une grève de la faim fait rage. Un chant traduit du kabyle est entonné par la foule.  

 

« Vous trottez dans des chaussures blanches. Vous trottez et faîtes voler au vent, le drap blanc qui vous enveloppe. Vous avez le regard et vous voyez, autour de vous, que tout est clos par le grillage… Un grillage qui vous empoisonne aussi bien qu’il vous emprisonne. Mais restez tranquille : vous trottez ! Vous trottez ! Vous trottez. En tout cas, vous avez appris à le faire. En tous cas, vous avez appris à le faire, en vous taisant. En vous taisant. C’est merveilleux, soyez endurant : continuez à trotter, à trotter, à trotter.  

 

En fait, vous ne trottez pas.  

Pas plus que vous ne courez.  

Vous ne marchez pas non plus.  

Ne boitez pas.  

Ne creusez pas.  

Ne rampez pas.  

 

Vous regrettez simplement que la route soit circulaire. Circulaire. Circulaire. »  

 

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Avec "Terre ! Terre ! Terre !", Prod'Artaud envoie au champ d'honneur des enfants qui ont construit la production, à commencer par Alex Wryn (ENATO) et Lou Fishburne, mémorable dans "Le jardin d'écrivain" et "C'est un jardin ouvrier". Ninna Moretto commence, elle, sa carrière ici, Prod'Artaud sait aussi renouveler son sang... Et quand on donne sa chance à des "bleus", d'autres ont besoin qu'on leur donne une seconde : Yan Miller a manifesté l'envie de sortir du carcan GCP et des rôles réducteurs.

Scénario : (3 commentaires)
une série A dramatique (Social) de Sélavy & Duchampignon

Yan Miller

Lou Fishburne

Alex Wryn

Ninna Miretto
Avec la participation exceptionnelle de César Montebas, Saif Dhupia
Musique par Salomon Land
Sorti le 16 août 2014 (Semaine 502)
Entrées : 7 213 737
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