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Prod'Artaud présente
A l'orée du hall

A travers ce projet, Prod'Artaud tient à saluer Sergiot Productions et nous savons que ce sujet tient à coeur. Jack Reyes (dont nous avons pu apprécier les qualités dans "Sans Plus de Conséquence") a créé un pont nouveau entre nos productions en nous présentant le réalisateur Florian LECHENOT. Florian nous délivre ce film troublant et haineux du temps où il voyait. Atteint du SIDA, il a développé une rétinite à cytomégalovirus - ce qui l'a contraint de renoncer à sa brève passion.  

 

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A Vitry-sur-Seine, les bandes de jeunes sont légion. Elles font partie de l’identité. L’appartenance et l’intégration à un groupe sont nécessaires même si, paradoxalement, l’individualisme ne paraît pas effacé. En même temps qu’ils ne se lâchent pas d’un pouce, ils paraissent comme de jeunes fauves dans un milieu qui leur est propre : brutal, difficile et populaire. Si la comparaison animale est facile, l’aspect communautaire prend alors tout son sens et renforce l’identité par des jeux de mimes violents, vulgaires et profondément singuliers. L’univers est, à part entière, le seul refuge pour le désoeuvrement. Parfois éparpillés, parfois tragiques, les vécus acceptent le maléfice. Personne ne peut aller à l’encontre des valeurs véhiculées par ces jeunes hommes stimulés par une vie intense. Les croyances communautaires deviennent alors le vecteur et la somme des repères dont tout un chacun a besoin. Quand le groupe exclut certaines pratiques, ils se créent d’autres besoins nécessaires à sa constitution. Aucune règle n’est toutefois avouée. Aussi, lorsque le groupe s’ouvre au monde extérieur, paroles épiques, bataille de terrain et mépris prennent à la gorge l’assimilé bourgeois conforté dans sa raison tranquille. Point la peine de discuter avec l’ennemi. Mais quel est-il ? Il est cet autre qui ne vit pas comme eux l’entendent. Ils ne croient avoir rien, être sans racine et sans pudeur, donc ils ont tout. Aucune plainte n’est adressée au monde. Si la cabine est brisée, si la voiture brûle au journal de TF1, cela fait partie intégrante du folklore, des mœurs.  

Pour Vincent (J. Reyes), l’action répétée de délabrement dans la cité dans laquelle il vit n’est en rien comparable à un supposé malaise social. Ce que d’autres commémore comme étant le symbole de la bêtise humaine est une violence légitime à l’égal de la violence perpétrée par l’assise d’un quelconque Etat ou d’une quelconque structure tentant de s’interposer, de s’opposer à la vie en territoire de « non-droit » comme ils disent.  

« La liberté est tout de suite ».  

Les applaudissements et des félicitations à base de kiff grave et d’autres onomatopées retentissent dans la classe pour accueillir le devoir oral de Vincent. Certains bronchent la présentation trop bien exprimée à leur goût. Le professeur est stupéfait de l’implication de l’élève sur un sujet maîtrisé. Il sourit professionnellement car c’est pour cela qu’il fait ce métier. Vincent lui reproche de se croire tout à coup dans un spot publicitaire pour l’éducation nationale.  

 

« Vince a raison, M’sieur. C’est pas le remake d’Entre les murs ici, c’est plutôt le makin’ of ».  

 

Vincent devient une révélation alors que sa présence en cours Vincent connaît bien la mentalité de ses camarades de classe car elle dépasse le cadre de l’école. Aucun changement n’est à déplorer dans l’attitude entre l’entrée en classe et le comportement en dehors des cours. Comme tout ceux qui n’ont rien à cacher, la vie de Vincent témoigne une grande réserve. Chaque geste qu’il fait, lorsqu’il traîne dehors, le trahit ou peut-être est-ce le poids d’un mensonge qu’il impute à lui-même. Visuellement, le fatras des attitudes clichées banlieusardes le camoufle à merveille : c’est un personnage sur mesure pour se débarrasser de tous les regards mal placés. La composition lui donne même l’assurance de répondre les yeux dans les yeux. Quel intérêt de conter ses aléas, chaque pas est égal au suivant et réglé sur le pas précédent. A quoi sert de montrer alors un cliché, justement ce cliché là ? A quoi sert de montrer le ressenti ? A quoi sert de montrer ce déjà-vu ?  

Au domicile (Bât.F HUGO, Escalier C, 15ème, appt. 3), la mère de Vincent (Carrie Bremner) partage la vie d’un autre homme depuis le récent divorce. Elle ose depuis deux semaines une insouciance totale devant son chômage de CAP fleuriste, devant la fin de son ARE, elle fuit l’ANPE. Il n’y a plus de sous à la maison et, pour la troisième fois, le loyer ne sera pas payé. Vincent reste spectateur de cette vie domestique tout en cherchant à respecter la pudeur de sa mère, ne serait-ce que l’écarter de ses bras. Elle lui raconte tous ses ébats amoureux du jour, de la cuisine au clic-clac, du sol au plafond. Nue, elle titube d’amour, couverte de sécrétions, du sol au plafond. Vincent n’avait jamais vu sa mère sous cet angle. Il faut dire que si le divorce avait été prononcé, il n’avait jamais vu son père. Verdict : altération du lien conjugal.  

Lorsque le compagnon arrive dans le salon, avec juste une serviette autour de la taille, Vincent se retire dans l’escalier. Les cris euphoriques d’une énième relation sexuelle se fait savoir. Vincent passera la nuit chez un pote, Farid (Pablo Hernandez), après deux longues heures de solitude nocturne. Il a regardé face à face sa vie. Il tait ses aspirations et les études supérieures qu’il souhaite faire. Il pense être le seul à voir loin, à avoir des projets. Il cache la vie au foyer, à présent devenue impudique. Et ce père invisible – qui paraît au-delà de la disparition, du décès et de l’absence réunis – reste la plaie infectée, un trauma qui se tourne et se retourne sans cesse, et l’incompréhension en revers. Peu à peu, rongé par le secret, épuisé par le manque cruel de l’aveu, pour Vincent, il n’est plus temps de reculer : il est hors de question de s’éloigner du groupe dont il a décrit les tenants.  

 

« Si le béton trace une quelconque perspective dans ta mémoire : cogne-toi… et reviens, comme ivre, vers toi-même. »  

 

Cette vie, Vincent aurait pu l’intituler Vince, Farid, Paulo et les autres. Il le sait d’ores et déjà, il ne pourra pas cacher cette dernière révélation qui s’est produite la nuit dernière. Vincent y a songé toute la journée, comme prostré. Il a cherché aux alentours un coin plus calme où il serait seul – autant dire un endroit où personne ne le reconnaîtrait. Mais il fallait changer de coin toutes les heures. Puis Farid arriva à la sortie du hard discount. Il s’inquiéta du sort de son ami sans trop discourir. Vincent s’énerva de suite en le plaquant d’entrée contre la tôle du magasin. La haine l’emporte dans un flot de paroles incohérentes et vulgaires. Farid, dans un moment de répit, plaque son adversaire au sol, lui regarde tout le visage comme quelqu’un d’étranger avant de le relâcher vivement, avant de courir brusquement. Vincent ne sait plus camoufler ses intentions et son regard l’a trahi. Le meilleur endroit, alors, pour se replier serait de prendre quelques affaires et de filer le plus loin.  

C’est ainsi qu’il rentra chez lui sans plus attendre. Mais dès qu’il franchit le pas de porte, il voit sa mère en pleurs aux prises de ce pervers. La scène ressemble plus au viol qu’à l’authentique désir mutuel. Vincent s’interpose pour mettre fin aux ébats. Le compagnon s’écarte sans problème et continue sa petite affaire, seul en riant comme un diable. La mère de Vincent semble évidée mais semble curieuse. Elle demande à Vincent de laisser son compagnon tranquille. Après quelques menaces, Vincent se replie dans sa chambre pendant que les deux pornographes continuent leur aventure au-delà des sens et de la sueur. La pièce s’emplit de bruits de fantasmes. Vincent sélectionne quelques chansons de Beastie Boys sur son lecteur mp3. Il pense à quelques affaires urgentes à régler lorsque son portable se met à vibrer. C’est Farid qui le prie de l’excuser et le convie à un rodéo nocturne. Vincent s’y rend à 23 heures. Les voitures sont volées puis trafiquées et entament des rondes, des courses poursuites dans la cité avant de finir – généralement – dans un organe d’Etat – l’ASSEDIC ou le commissariat. Avant que l’adrénaline des CRS ne se pointe, Vincent se dit que  

Demain, il sera loin  

 

Le rodéo a tourné court. Les voitures ont cramées et tout le monde s’est dispersé aux quatre coins de la cité. Les policiers sont encore tombés dans le guet-apens du tapage nocturne. C’est simple : un voisin appelle pour se plaindre du bruit et, quand la volaille arrive, des centaines de « nous » se lèvent pour encercler la voiture. Les gyrophares ne tournent plus, les boucliers sont à présent levés et les flashballs sont reluisants. Pendant la descente, un malheureux s’est pris une balle de caoutchouc dans l’orbite. Il fera ensuite le tour du quartier, implorant Allah de n’avoir secouru son œil droit.  

« Attends, attends Rafik, laisse-le courir un peu : tu verras un jour, il dirigera le FN. »  

 

Vincent remonte donc chez lui. Sitôt le seuil franchi, la vue de sa mère le pâlit autant qu’elle est pâle. Il se trouve mal. Il reste là. Maman est pendu à la clenche de porte de sa chambre. Maman s’est mordu la langue. Dans le couloir, un bruit de foule. Pas un répit, pas un calme, pas un repos, pas une tranquillité à l’ombre des hall. C’est une passion, elle est entière. Dans la chambre de sa mère, le compagnon repose sur le flanc. Une projection de sang lui a peint le tympan. Vincent reste un long moment. Ecrit quelques pensées imprégnées de cet instant où lui-même est absent. La magie est infernale. La frénésie dura encore jusqu’à ce que le couloir redevienne calme. Inébranlable, il s’empare de l’arme, de quelques affaires en vrac dans un sac. Il décide de prévenir les secours.  

Il ferme la porte en prenant le soin de laisser les clés sur la serrure. A sa droite et sur la longueur du couloir, on lit :  

 

« Brokeback, on t’encule ! »  

 

En bas de la barre d’immeuble, il cristallise un nouvel instant qu’il baptise telle une renaissance. Quelques personnes s’attroupent autour de Vincent. Il devient le centre de toutes les intentions. Le cercle, composé d’une trentaine de personne, lui jette des pierres, des pièces mécaniques, des bidons d’huile. Vincent protège son visage avec la main qui tient une arme. Il réalise qu’il fait peur. Il réalise qu’il faut tirer. Pour créer son silence, son intimité. Pour créer son identité. Enfin. Après avoir tué quatre personnes, il part sac en main pour rejoindre la campagne tandis que les gyrophares du SAMU colorent les parois rectilignes du béton armé.  

 

Il a une longue discussion à mener avec son daron…  

Il doit faire son intégration par la force et le chagrin…  

Il ira où le goudron mènera…  

 

C’est l’histoire de jeunes hommes dont le destin s’arrête à descendre les escaliers et à fouler le béton. Chaque jour qui passe est une journée qui termine en couille. Alors, tant qu’à faire, ils se serrent tous les coudes. Parfois, certains ne prennent que la main pour tout réconfort.  

Dans le dédale du quartier qu’il abandonne, un jeune homme nie sa sexualité en descendant dans la fosse aux lions, sur le parking jusqu’au terre-plein d’une voie rapide pour une ballade romantique et naturelle.

Scénario : (4 commentaires)
une série B dramatique de Florian Lechenot

Jack Reyes

Carrie Bremner

Pablo Hernandez
Sorti le 10 mai 2014 (Semaine 488)
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