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Production Riri3 et Neveu Associé (PRNA) présente
Le retour

« Faire de l’Orient malgré les mers,  

La banlieue de Charleville-Mézières,  

Naviguant seul sur un bateau ivre,  

Dégoûté à tout jamais des livres,  

 

Et tu penses au désert, au désert de ta vie, Arthur  

A l’amour, à la haine,  

A Verlaine  

Arthur »  

 

Les Garçons Boucher, Arthur, dans Ecoute petit frère, 1995  

(http://www.deezer.com/fr/music/result/all/Arthur%20Ecoute%20petit%20frere#)  

 

 

Annonçant la proximité de la gare, la voix du contrôleur m’a sorti de ma léthargie. Il m’a fallu peu de temps pour quitter le cirage dans lequel j’étais englué depuis des plombes. Juste celui de regarder par la fenêtre du wagon : le ciel était gris, une barre HLM faisait tâche à l’horizon et la Meuse charriait une eau noirâtre. Je connaissais le paysage. Sinistre, laid et sans espoir. Sombre comme l’était mon âme.  

 

Quand j’ai posé le pied sur le quai, le froid m’a envahi, mon corps étant vite absorbé dans un brouillard crépusculaire. J’en ai eu la nausée. Jouxtant la gare, le bitume devant le Pôle emploi a reçu mes vomissures. Au loin, le Leader Price se dressait, funeste, dans un bâtiment haussmannien sinistre. J’ai pris la direction opposée. Celle de l’avenue des voyageurs. De ceux qui prennent un billet pour l’enfer.  

 

Rue de la Gravière, rien n’avait vraiment changé depuis mon départ. Les immeubles se délabraient année après année, celui de mes parents n’échappant pas à cette règle d’airain. Je montais les escaliers pour la première fois depuis l’enterrement de ma mère qui avait noyé son chagrin dans l’alcool, avant de se jeter dans la Meuse face au musée Rimbaud, quelques mois après que mon père fut écrasé par un camion en sortant de la forge de Thomé-Génot. Lorsque j’ai ouvert la porte, une odeur pestilentielle m’a prise à la gorge. Dans cette atmosphère rance et moisie, j’ai cherché de l’air. En ouvrant les volets de la fenêtre, je voyais les lignes de chemin de fer qui bordaient la zone industrielle pour s’enfuir à l’horizon. Mais celles là filaient dans la mauvaise direction. Celle de Givet et de la Flandre.  

Au centre de ma piaule, un autoportrait torturé et inachevé était posé sur un chevalet. Ça et là, sur le sol, gisait du matériel de peinture. Sur l’établi poussiéreux, il y avait un monticule d’esquisses ridicules de Mona le vampire, celles là même qui m’avaient permis d’être embauché par Alphanim, société d’animation parisienne. Mais après avoir sué sur une série idiote en donnant vie à Woody, le chien errant et l’ami du petit Antoine, Alphanim m’avait exprimé sa gratitude en me foutant à la porte. De rage, j’ai passé mes nerfs sur ce pauvre Mona impuissant. De guerre lasse, je me suis avachi sur le lit. Près de moi, j’ai saisi une photo retournée. C’était celle de ma classe de Terminale, la ES3. Dessus, Christophe, le poète maudit, était impassible à mes côtés, au dernier rang. Et puis, il y avait Marion, au premier rang. Une beauté esquisse, souriant à l’objectif, pleine de vie. Un fantôme d’un passé qui n’avait pas tenu ses promesses.  

 

La faim a mis fin à mon sommeil lourd, peuplé de cauchemars. Pourtant, en m’habillant, je ne pensais pas au petit déjeuner pour calmer mon angoisse. D’ailleurs, il était bien trop tard pour cela puisque mon portable indiquait dix-huit heures.  

Avant que la pluie ne tombe, j’ai eu juste le temps de m’engouffrer dans le Leader Price. Dans le magasin, les clients faisaient corps avec le décor hideux. Leurs visages hagards et leurs vêtements démodés auraient fait une bonne publicité pour une campagne de sensibilisation d’ATD Quart Monde. Au rayon bières, j’ai pris deux packs de Royal Club et une bouteille de whisky pour faire passer. Alors que la caissière cherchait la monnaie à me rendre, la femme derrière moi m’a appelé par mon prénom d’une voix interrogative. Quand je me suis retourné, je l’aurais pas reconnu. La mère de Marion.  

 

Quand Christophe m’a ouvert, les baffles crachaient un morceau du dernier Parabellum. On s’est accueilli comme il se doit. A coup de pogo, épaule contre épaule. La bourrasque passée, on s’est affalé sur le canapé en parlant de nos vies minables alors que Schultz entamait les paroles de Tant qu’il y aura des watts. A coup de grandes lampées de bière, on en est vite venu à évoquer le passé. Je lui appris que Marion était devenu prof d’anglais à Lille et qu’elle revenait dans une semaine, pour les vacances de la Toussaint. La réaction de Christophe a été de se resservir un coup de whisky. Sans doute pour faire passer la boule qui se nouait dans sa gorge.  

 

Assis sur l’établi, je fulminais et tremblais de tout mon être. Face à moi, l’autoportrait semblait en être au même stade. Trop de noir, trop de gouaches, prisonnier d’un cadre qui l’étouffait. J’aurais eu besoin d’une bouteille et de prendre l’air. Mais mes jambes ne m’auraient pas porté au-delà de la porte. Pas jaloux, je rendis sa liberté à l’autoportrait. J’aurais peut-être pas du car c’est le bruit de sa chute qui a surgi dans la nuit noire.  

 

J’ai mis du temps pour ramper jusqu’à la porte. Malgré mon mal de crâne, la voix que j’entendis l’apaisa sur le champ. La rouquine se prétendait être ma voisine et tenait dans sa main gauche l’autoportrait. Elle l’avait trouvé ce matin au milieu de la cour et se demandait si c’était mon œuvre. Elle, elle aimait beaucoup et m’invitait à venir boire l’apéro, ce soir, après son travail.  

En refermant la porte, comme un con, je pensais à Marion…  

 

 

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Réalisateur : Malek Ouasetine – Premier rôle masculin : Yan Winstone (rôle du narrateur) – Premier rôle féminin : Carrie Torkildsen (rôle de la voisine) – Scénariste : Malek Ouasetine - Affiche : Charlotte Cauwet – Studio : Studio Riri (série Z) – Producteur : Riri2 – Distribution : Nous avons les mains rouges - Production : Production Riri3 et Neveu Associé (PRNA)

Scénario : (5 commentaires)
une série Z dramatique de Malek Ouasetine

Yan Winstone

Carrie Torkildsen
Sorti le 03 avril 2015 (Semaine 535)
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