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Production Riri3 et Neveu Associé (PRNA) présente
L'aube du crépuscule

C’est toujours la même sensation Lyon à l’aube. Seul dans ses rues à contempler sa beauté sans que celle-ci ne soit gâchée par les connards qui la hantent le jour. Toujours le même bonheur. La seule chose qui me fasse tenir puisque, depuis longtemps, j’ai abandonné l’idée de rechercher la vérité. La mienne en tout cas. C’est étrange que tout s’use sauf ça : ce lâche abandon dans une absurde confiance en soi, à la lueur du jour, malgré la certitude de n’avoir rien fait de sa vie que de la gaspiller. Sans doute que la beauté sert à masquer notre propre lâcheté.  

 

Ce moment de contemplation de la splendeur de cette ville aux deux collines était seulement une évasion de mon esprit. C’était une illusion que je cultivais précieusement. A l’aube, je me disais que j’étais capable de changer, d’arrêter ma chute vers le néant, de reprendre le combat de la chair et de l’âme. Mais ces méditations ressemblait davantage aux théories des humeurs d’Hippocrate à propos du corps humain : elles n’étaient que chimères et impostures. Je savais qu’elles me permettaient de supporter ce que j’étais devenu, de ce à quoi j’avais renoncé : ma liberté pour la fatalité.  

 

Il n’y avait plus de place à l’imprévu et à la création dans mon quotidien. Depuis que Patrick m’avait embauché comme serveur au Père Duschène, je ne peignais plus. Maintenant, j’exorcisais mes tourments d’une manière plus simple, plus radicale et moins tortueuse. Au lieu de peindre, j’allais taper le carton avec Patrick et Mathieu chez Jean après avoir viré les dernières épaves du comptoir lors de la fermeture du Père Duschène sur les coups d’une heure du matin. Mes nuits étaient simples à résumer : le poker, l’alcool et les filles. Mes raisons étaient finalement limpides : jouer pour se prouver qu’on existe ; boire pour assommer les angoisses ; les filles pour tenter de dissimuler par le corps le néant de l’esprit. Et puis aussi être dehors pour ne pas rentrer. Pour ne pas me confronter à Estelle, pour la laisser prendre la décision à ma place puisque notre couple n’avait plus de sens, chacun étant devenu un étranger et un inconnu pour l’autre.  

 

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Et puis en une soirée, tout a volé en éclats… Ce ne fut pourtant pas par l’art que j’ai tenté de mettre fin à ma routine et de remonter la pente mais par la beauté. Forcément, depuis longtemps, je n’aspirais plus à la vérité mais à des instants de bonheurs.  

 

C’était Mathieu qui m’avait emmené à cette partie. Il s’était fait plumer la veille et était convaincu que l’autre frouillait. Bref, j’étais venu vérifier. Mais un élément m’a empêché de le faire. Encore aujourd’hui, je me demande si cela faisait parti du bluff du gars.  

 

Il s’appelait Eric. C’était un voyou sans envergure, un fanfaron qui se vantait de ses petites combines pour améliorer l’ordinaire. Le genre de type que j’exécrais. Pourtant, j’ai tout fait pour me lier d’amitié avec lui par la suite. C’est sûr que c’était ni pour sa compagnie ni pour sa petite gueule d’ange.  

 

Lorsqu’on est entré chez lui avec Mathieu, j’ai tout de suite su que c’était elle. Lucie était le genre de fille qui n’existe pas et en même temps qu’on a toujours su qu’elle existait. Comme si on avait passé sa vie à l’attendre.  

 

Avec le recul, c’est sûr que j’aurais du me méfier face à cette certitude. Mais Lucie n’était pas comme les autres filles avec qui je couchais. Nous faisions vraiment l’amour et j’avais le sentiment, dans ces instants là, qu’elle seule pouvait me réanimer, me ramener à la vie. Le jeu en valait la chandelle puisque c’était le seul moyen de la retrouver.  

 

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C’est lorsque Eric m’a parlé de sa passion pour les voitures que j’ai prit ma décision. J’avais bien remarqué qu’il en changeait souvent et qu’il ne passait pas par le concessionnaire. Mais il me fallait une preuve supplémentaire pour mettre mon idée à exécution. Les hommes sûrs d’eux ont toujours une faille, un truc qui les rend vulnérable et qui les font plonger. Il suffit d’appuyer dessus et de l’ouvrir délicatement pour qu’ils s’effondrent dans leur médiocrité.  

 

Je lui ai exposé mon plan et il n’a pas hésité. L’appât était plus décisif que la simplicité du projet : piquer la jaguar du patron d’Estelle le soir où il était à un vernissage grâce à un double des clés du portail et de la porte du garage. En fait, il n’a pas trop posé de questions, sûr de son invincibilité. Je ne peux pas lui en vouloir, le même sentiment m’habitait.  

 

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Dans le crépuscule, face à la maison, j’attendais qu’il se jette dans la gueule du loup. Je me délectais à imaginer sa tête lorsqu’il entrerait dans le garage, les sirènes hurlant et le piège se refermant sur lui, l’emprisonnant avec les meubles de collection et les toiles de maître. Je l’entendais déjà geindre, cet imbécile !  

 

Au fond de moi, je pensais que c’était ma dernière lâcheté, ma dernière marque de cynisme. Après, je ferais pénitence en rendant heureuse une femme qui s’était trompé d’homme… C’était le seul moyen d’être avec Lucie et de ne plus crever de l’intérieur à petit feu. Un curieux paradoxe puisque, pour retrouver ma liberté, je faisais confiance à la fatalité.  

 

Et puis Eric s’est pointé, a ouvert le portail et s’est engouffré dans l’obscurité…  

 

Jusque là, je me trouvais très malin. Tout se déroulait comme prévu. Mais la fatalité ne se trouvait pas du côté que je pensais…  

Scénario : (3 commentaires)
une série Z dramatique de Malek Ouasetine

Yan Winstone

Sophie Fonsec
Sorti le 16 mars 2013 (Semaine 428)
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