Les sirènes des trois voitures de patrouille de la police du conté de NorthUnder hurlaient au loin. Les quelques ruraux encore debout à cette heure avancée de la nuit se demandaient pour qui ou pour quoi le Sheriff et ses hommes partaient en course. Les voitures quittaient le petit bourg et se dirigeait vers la ferme des Tucson.  

Le vieux Charlie qui avait autant d’amis à NorthUnder que de dents restantes murmurait en silence et en esquissant un sourire, que le mari avait finalement fait rentrer un peu de plomb dans la cervelle de sa bonne femme. Il rigola en plissant les rides de son visage sec et se moucha bruyamment dans son mouchoir de tissu à carreaux rouge et blanc. Il cracha par-dessus la balustrade de son perron et rentra chez lui.  

Joseph Stone tira le rideau de sa chambre à coucher situé au deuxième étage de son immense ranch pour chercher du regard d’où venait les sirènes et vers où elles allaient. Après un signe d’étonnement de la tête, il réalisa que c’était bel et bien le Sheriff et toute son équipe d’abrutis de cow-boys qui se rendaient chez les pauvres Tucson. Quel drame à t-il put bien arriver aux nouveaux habitants du conté ? Il appela sa femme qui se démaquillait dans la salle de bain adjacente à la chambre à coucher et expliqua sa déduction à son épouse. Celle-ci n’écoutait pas son mari, regardait par la fenêtre dans le vide tout en enlevant ses boucles d’oreilles brillantes.  

Le petit Harvey qui jouait dehors malgré la nuit tombé il y a plus de deux heures observait les Ford de la police soulever un nuage de poussière sur la grand route sans détacher son regard, comme hypnotisé. Il appela ses parents qui ne tardèrent pas à sortir dans leur jardin. Le couple Simpson tirèrent doucement par le bras leur fils unique et la famille rentrèrent dans leur petite ferme qui n’était qu’à deux cent mètres de la grand route.  

Une silhouette s’enfonçait dans les sous-bois proche de la frontière du conté de NorthUnder, se retournant toutes les trente secondes vers la ferme des Tucson non loin de là. La personne courait maladroitement en poussant des gémissements mi humain, mi animal.  

Joey Bergman (Nathan Bew) avait réussi les tests et entretiens pour l’intégration au service de l’ordre, et était fraîchement arrivé au conté de NorthUnder il y a à peine trois semaines. Plus réservé qu’une nonne ayant fait vœu de silence, il n’avait pas évolué du poste d’adjoint préparateur de café du service. Jusqu’à ce soir. Sa première sortie du poste, avec sa première sirène. Et rares étaient les fois où les sirènes du Sheriff se faisaient entendre par les habitants locaux.  

La bleusaille se tenait là, derrière l’adjoint du Sheriff, lui-même derrière le Sheriff. Ce dernier l’avait nommé exceptionnellement Adjoint auxiliaire sur cet évènement. Les trois hommes écoutaient et essayaient de suivre le couple Tucson dans leurs débits d’explications et d’hypothèses plus ou moins plausibles. Bergman prenait soigneusement des notes sur un carnet neuf. La disparition de Julia Tucson, la fille cadette de la famille âgée de quatorze ans affectait la dizaine d’hommes des forces de police.  

Chacun avait un certain lien avec la gamine, chacun aurait eu quelque chose à dire à cette gamine, ou à leurs parents, totalement effondres et paniqués.  

Le Sheriff aurait voulu donner une petite tape amicale sur l’épaule du père et lui offrir un cigare.  

Des chiens de prairie se mirent à hurler au loin. Les hurlements venaient du bosquet proche de la ferme des Tucson.  

L’adjoint observait la mère sauter de l’hystérie à la dépression soudaine. Il pensait qu’il pourrait peut être la rassurer, lui dire que c’est juste une fugue, et que Julia sera là demain matin.  

Une silhouette à la respiration affolée, accroupie dans les feuillages, essayait de faire taire des chiens en leur jetant des pierres et des bouts de bois. La silhouette saisi un couteau de chasse ensanglanté de sa besace.  

La jolie Whitney recherchait des indices dans la chambre de la gamine qui pourrait donner une piste d’où Julia pourrait se trouver.  

Les chiens s’arrêtèrent d’hurler.  

Will et Spencer balayaient le champs avec les projecteurs des Ford aux couleurs de la protection nationale dans l’espoir de trouver un corps, au mieux endormi, au pire…  

La silhouette courait en pleurant. Les morceaux de phrase qu’elle essayait de se dire à elle-même ne permettaient pas de déterminer le sexe de celle-ci, mais la prononciation difficile et mâchée des mots aurait pu faire croire à une personne mentalement déficiente.  

Les parents s’étaient calmés. Ils étaient assis à table avec le Sheriff et son adjoint, et Bergman se tenait debout derrière. L’heure était aux hypothèses optimiste. Le rendez-vous amoureux était l’hypothèse la plus favorable. Et dans une atmosphère spéciale, tout le monde esquissait un sourire.  

La silhouette s’était effondrée par terre entre deux arbres et pleurait encore et toujours. A sa voix, on devinait que c’était un homme. Il demandait à dieu de « la sauver. De sacrifier le méchant policier » s’il le fallait.  

Le Sheriff avait un sourire compatissant. Il avait réussi à rassurer les parents.  

Le fuyard continuait à pleurer. Il mit sa tête entre ses mains et demandait pourquoi.  

L’adjoint avait un sourire sincère. Naïf, il s’était laissé convaincre par les arguments de son supérieur et s’attendait à une fin heureuse dès le lendemain.  

L’homme aux larmes poussa un hurlement au milieu de la nuit, demanda à un supposé dieu pourquoi il avait retrouvé Julia morte dans la grange.  

Bergman avait un sourire d’homme satisfait. Cette gamine était destinée à mourir pour faire éventuellement avancer sa carrière. Et cela avait marché puisque le Sheriff l’avait nommé Adjoint auxiliaire. Dommage qu’il ait perdu son couteau de chasse quand la gamine se débattait.