« Tu dors ? »  

Non, il ne dormait pas. Franck (Scotty Feild) avait perdu le sommeil depuis plusieurs lunes. S’il ne se souvenait plus quand, il se souvenait pourquoi. Ces images, incrustées dans sa mémoire…  

« Non »  

Il expira une longue bouffée d’exaspération. Judith (Jewel Glass) se retourna dans le lit faisant grincer les lattes en bois vieillissantes. Une lumière venue d’une voiture qui filait sur l’asphalte éclaira la petite chambre de l’appartement du jeune couple à travers la fenêtre. Franck se leva et enfila ses pantoufles.  

« Je vais boire un verre d’eau »  

Sur la table en mélaminé et tube acier de la cuisine semblaient égarés un verre d’eau, un cendrier à moitié remplit et une boite de xanax.  

Franck arriva au bureau avec quelques minutes de retard. Il s’installa derrière son ordinateur sans passer par la machine à café. Ses yeux cachés derrière des cernes de plus en plus envahissantes, il ne répondait plus aux machinaux bonjours de ses collègues.  

Il enchaînait les dossiers, les dizaines de factures, les lettres de litiges, les lettres explicatives. Il avait beau bosser dans un cabinet comptable réputé, c’était toujours le même merdier, les mêmes gestes répétitifs, les mêmes appels téléphoniques infructueux que ceux de ses débuts dans cette carrière emmerdante au possible. Et pendant qu’il rentrait des quantités monétaires sur un écran monochrome, il se demandait pourquoi il continuait à faire cette merde incessante. Le directeur de cabinet s’arrêta à côté de son bureau et pendant qu’il lui dénonçait ses dernières erreurs de saisies inacceptables pour le prestige de la société, la fumée dense et pestilentielle de son cigare agressait tous les sens de Franck. Le regardant hasardement dans les yeux, il acquiesçait sans écouter un mot de ce que pouvait lâcher l’énorme gastéropode humanoïde entre deux odeurs de purin que dégageait son haleine. Avec le même regard évasif, il regarda son supérieur rejoindre son bureau en empruntant la porte mégalomane capitonnée de cuir rouge.  

« Hey Francky. Depuis quelques temps, y a pas mal de monde qui te trouve bizarre tu sais. Ca va toi ? Judith, tout ça ?»  

William (Conor Vrana) s’inquiétait de loin pour Franck. Plus l’inquiétude de devoir se taper son boulot si jamais il se foutait en arrêt maladie que l’inquiétude d’un ami qui aurait deviné qu’il était suicidaire. D’une voix monotone, tout en fixant la cravate fluo de son collègue, il répondit d’un vague « ça va ».  

« Tu n’a toujours pas faim ? »  

Franck balança lentement sa tête de gauche à droite. Judith faisait une pizza au jambon, un plat qui aurait fait saliver Franck rien que d’y penser. Sa compagne tentait tout pour faire réagir le zombie qui vivait dans le même appartement qu’elle depuis quelques mois. En trois ans de liaison, c’était la première crise de la sorte que traversait le couple. Sans aucune raison ni aucun motif, Franck s’était subitement plongé dans le mutisme. Judith l’avait supplié de consulter un psychiatre. Il s’était laissé convaincre en très peu de temps.  

« …Neuf ! Vous êtes maintenant complètement assoupit. Vous êtes conscient et n’écoutez que ma voix. A dix vous vous remémorerez le traumatisme que vous avez enduré. Dix. »  

Franck est complètement enfoncé dans le large fauteuil de la docteur Jones (Kerrilyn Jones). Désireux d’extérioriser ses angoisses, mais incapable de les exprimer, la docteur envisagea cette thérapie. Il l’accepta. Elle lui pose des questions temporelles pour situer quand se trouve l’esprit hypnotisé de Franck. Ses visions le ramènent au moment où il avait neigé pour la dernière fois à Sanderbrock. Jones lui demande ce qu’il s’est passé avant son traumatisme.  

Je rentre à la maison… J’ai du mal à conduire... A cause que j’ai fumé et qu’il neige... Y a pas beaucoup de voitures sur la route… C’est le soir mais… Y a encore des gosses qui jouent… dans la neige… C’est… Un soir d’hiver…  

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Film participant au concours "Secret"