Et voilà. C’est le grand jour. L’emménagement de la petite famille Lancier. Franck, 25 ans, est cadre dans une grosse boite, et Béatrice, 21 ans, profite juste de la vie.  

En règle générale, emménager avec la femme que l’on aime, c’est toujours un vrai bonheur. Mais pour Franck, c’est surtout des décisions prises sans vraiment y réfléchir. La présence de sa compagne le rassure. Sûrement dû au fait qu’il déteste la solitude, la peur de se retrouver seul alors qu’il approche la trentaine. Pour Béatrice, la question ne se pose pas. Bien que Franck ne soit pas moche et est particulièrement cultivé, il n’y a pas vraiment d’amour de son côté non plus. Ce qui la rassure, ce n’est pas la présence de son ami, mais son compte en banque. Elle qui s’est toujours prise pour une princesse, elle vit aujourd’hui son rêve.  

Un couple homme/femme peut-il survivre sans amour ? Oui, s’il y a des substituts à ce sentiment. Et la peur et l’argent en font partie.  

Plus le temps passe, plus Franck se remet en question, sans jamais bien sûr penser à quitter sa compagne. Béatrice qui masquait son caractère pour plaire à son homme, devient un peu plus naturelle, un peu moins attentionnée. Demande un peu plus chaque jour. De quoi changer de garde robe. De quoi changer de meuble. De quoi changer de voiture. Franck ne peut dire non.  

Lors d’un repas dans un restaurant plutôt chic, Franck reçu une demande en mariage de la part de Béatrice. Sans sourire de sa part, sans ton euphorique, en y mettant la même passion que « tu voudras un dessert ? »  

C’est à partir de cette nuit que ça a commencé.  

Il était deux heures et cinq minutes. Franck ouvrit les yeux sur son réveil électronique. Il n’avait pas de besoin naturel à assouvir… Il n’avait rien oublié, pas d’urgence domestique ou professionnelle… Il cherchait une raison à son réveil sans en trouver. C’était la première fois qu’il se réveillait en pleine nuit sans que… Lorsqu’il voulu remettre les draps correctement, il aperçu une ombre, assise au pied du lit, le regard par terre. Il bégaya au bout de quelques secondes le prénom de sa femme, avant de se rendre compte qu’elle était assoupie à ses côtés. L’ombre leva la tête et se tourna vers l’homme apeuré. Elle murmura « N’aie pas peur ». L’ombre se fondit sans l’obscurité ambiante. Franck resta plusieurs secondes à scruter le vide. Il se rendormit difficilement au bout d’une heure.  

La journée passa normalement.  

Il était deux heures et cinq minutes. Franck se réveilla sur le réveil. Un éclair glacial lui parcourra le dos. Il persistait à scruter le réveil, avec des yeux terrorisés, ne voulant pour tout l’or du monde regarder au pied de son lit.  

« N’aie pas peur »  

Franck ferma les yeux et demanda ce qu’on lui voulait dans un murmure.  

L’ombre lui répondit d’une voix douce et féminine.  

« Je veux juste te parler »  

Puis le silence. L’homme terrifié regarda au pied de son lit mais ne vit rien. Il se rendormi.  

La journée était une des plus emmerdantes de la semaine. Des dossiers en retard. Le supérieur qui était mal luné. Un gros client qui annule un contrat.  

Il était deux heures et cinq minutes. Franck se réveilla calmement, comme si son réveil affichait six heures. Il regarda au pied de son lit. L’ombre y était.  

« Alors ? »  

« Je veux juste te montrer quelque chose… »  

Franck s’assoupit.  

Des lumières bleues et rouges éclairaient par intermittences le grand salon par la baie vitrée. Il faisait nuit. Dans une grimace de douleur, sans savoir d’où elle venait, Franck ouvrit les yeux. Deux hommes armés débarquèrent de par la baie vitrée. Un des deux se rua au dessus de Franck, posa son arme et se pencha au dessus de Franck. Il portait un casque d’un groupe d’intervention des forces de l’ordre, avec une épaisse visière en plexiglas. Le policier lui parla sans que Franck ne puisse rien entendre. La lumière des projecteurs extérieurs masquait le visage du policier en reflétant les environs. Il y avait eu un carnage chez lui. Puis il vit son visage. Ses tempes blanches et ses cheveux poivre et sel étaient ensanglantés. Il tenta de demander « Où est ma fille ? ». Il tomba dans le coma avant de pouvoir en trouver la force.  

Franck était dans un lit d’hôpital. Plongé dans une peine immesurable, pleurant toute les larmes de son corps, ses mains parsemées de poils blancs masquant son visage.  

Elle avait tué sa fille. Sa seule et unique fille.  

Elle avait tenté de le tuer. Lui aussi.  

Grabataire. Ne sachant ni en quelle année nous sommes, ni quel président est en place, Franck survit au fond de son fauteuil roulant. La peau ridée et tachée. Les mains tremblantes. Il pleure en se remémorant son seul souvenir. Sa fille qu’il a perdue.  

Franck se réveilla en sursaut, comme après un cauchemar. Il ne regarda pas l’heure sur le réveil. Il jeta son regard immédiatement au pied de son lit. L’ombre était là.  

D’une voix douce. « Tu pleurera ma mort toute ma vie. La tienne sera détruite ce jour là. Je ne veux pas que tu vives dans cette peine. Dit lui non. Pour toi. »  

En sueur, il continuait de fixer l’ombre dans une respiration effrénée.  

« Même si je n’ai jamais existé… Ne m’oublie pas Papa »  

Franck quitta sa femme, son job et sa ville.  

Grabataire. Ne sachant ni en quelle année nous étions, ni quel président était en place, Franck survivait au fond de son fauteuil roulant. Pleurant sa fille qu’il n’eut jamais pu connaître.