Réalisé par Barclay Kordic
Avec Barclay Glau, Trudie Amram, Anton Freeman, Nadia Fusco, Alice Andrews et Enzo Kanno
Son souffle erratique se faisait entendre dans le silence pesant qui régnait dans la pièce exigüe. Une goutte de sueur perlait à son front, vestige de minutes de panique intense desquelles il avait réussi à s’extirper non sans mal, tant l’impression de réalisme qui le hantait était tenace. Pour troubler cet interminable silence, uniquement les soubresauts réguliers de la jeune femme (Alice Andrews) couchée à ses côtés. Il aurait été incapable de remettre un nom sur ce visage. Il poussa les nombreuses couvertures qui l’enveloppaient telles un cocon, et s’extirpa du lit pour essayer de remettre ses idées en place.
Ses cris résonnaient encore à ses oreilles. Ses yeux, implorants, n’avaient cessé de le fixer tout le temps que sa torture psychique avait perdurée. Ses lèvres avaient persiflé ces mots qu’il souhaitait rayer de sa mémoire sans jamais y parvenir. Balayant d’un geste de main la mèche de cheveux qui tombait devant son visage, il s’appuya sur le rebord de la fenêtre à proximité, laissant son regard se perdre dans le vide. Durant les quelques heures qu’avaient duré son sommeil précaire, une fine couche blanche avait déjà eu le temps de recouvrir la vallée qui entourait son petit chalet de fortune. La vitre était recouverte de givre, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, et la légère brume provoquée par sa respiration ne suffisait pas à le faire disparaître. La morsure du froid aurait du se propager dans son corps, mais l’habitude avait fini par faire taire le claquement de ses dents. Sans qu’il s’en rende compte, sa main gauche avait saisi le verre posé sur la tablette, et s’amusait à faire clinquer les fragments de glace contre les parois. Il jeta un rapide coup d’œil au contenu du verre, le renifla rapidement avant de porter à ses lèvres les dernières gouttes de vodka qui se battaient en duel contre sa langue. Il déglutit avec force, une légère brûlure passagère enveloppant sa gorge et reposa le verre avec force, couvrant la voix fluette qui essayait de se faire entendre derrière lui. Dav ?
Il se retourna d’un geste brusque et daigna accorder un regard à la silhouette fluette qui s’enroulait précipitamment dans la couverture, la lèvre légèrement bleue et les membres tremblants. Il oubliait souvent qu’il était l’un des rares à supporter la température glaciale. Excuse moi je ne voulais pas te réveiller. Dire qu’il ne le pensait pas vraiment était un euphémisme. Cette fille était comme un moucheron sur un pare-brise. Quelque chose qui est là parce qu’il s’est heurté contre vous. Elle ne répondit pas, se contenta de le fixer durant de longues minutes. Elle le détailla de haut en bas, se redressa contre la tête de lit. Comment je m’appelle ? Il sursauta à cette question pourtant enfantine. Elle l’avait littéralement pris de court, et pire que tout, il était incapable d’y répondre. Le silence entre eux se prolongea pendant quelques secondes avant qu’elle ne se lève, emportant avec elle la couverture. J’ai compris. Je m’en vais. Elle fit un geste vers la porte de sortie mais il l’en empêcha en lançant un glaçon contre le mur, à quelques centimètres de son oreille.
Anaïs. Anaïs. Anaïs. Elle soupira doucement, le regarda du coin de l’œil, et tous les souvenirs de la nuit passée ressurgirent dans sa mémoire. Je suis tellement désolé.
12 janvier.
Les projecteurs s’allumèrent. Des applaudissements résonnèrent dans la salle, rythmant ses pas sur la scène. Les écrans géants derrière lui affichèrent une image, son sourire large, mais faux. Il grimpa sur la petite estrade placée au centre, et fit résonner sa voix à travers le micro.
Mesdemoiselles, Messieurs, bienvenue à l’Académie.
Au fond de la salle, David Honovan (Barclay Glau) avait déjà placé ses lunettes sur son nez, un carnet de notes à la main, et comptait bien saisir chaque opportunité que cette instauration pourrait lui donner. Il y a deux mois, quand il avait rempli les formulaires d’acceptation à l’Académie, jamais il n’aurait cru pouvoir accéder aussi rapidement au cours magistral du Professeur Killian (Anton Freeman). Un nombre très restreint d’élèves avaient ce privilège et ceux qui ressortaient intacts de ce même cours se comptaient sur les doigts d’une main. Pourtant, il s’agissait là de sa seule chance.
Au premier rang de l’amphithéâtre, Amanda Clark (Trudie Amram) commençait à regretter d’être entrée dans la pièce. Alors que le professeur captivait les foules de par son charisme époustouflant, elle ne pouvait détacher son regard des listes de noms qui défilaient sur l’écran. Ceux qui étaient revenus. Et ceux qui y erraient encore, sans possibilité de retour. Certaines personnes y avaient perdu un enfant, un père, un amant. Elle, sa seule motivation était l’expérience parallèle. Des années durant, on lui avait juré que pénétrer ces sphères était impossible. Désormais, Killian l’avait fait. Elle ignorait pourtant si une fois qu’elle aurait découvert ce monde, elle serait capable d’en revenir.
Je suis ici pour vous apprendre à pénétrer la mort.
24 janvier.
Selon Killian, le principe était simple. La sensation de mort était comparable à un froid intense qui envahissait notre corps. Passer de l’autre côté impliquait un refroidissement intense de l’être humain, qui, même s’il pouvait enclencher des dommages irréversibles, provoquait une sensation de flottement et projetait l’âme humaine dans la mort. Le seul moyen de quitter cet état de mort artificielle était de brûler son âme. Mais on ne bénéficiait que d’une seule chance : si l’âme n’était pas brûlée intégralement, elle mourrait, véritablement. De plus, il fallait au minimum deux âmes pour déclencher cette brûlure. Une vive douleur ou une passion exacerbée pouvait allumer une flamme. Alignés le long du mur, les recrues en partance pour la mort se débarrassaient de leurs vêtements et ne gardaient qu’un pendentif au bout duquel pendait un glaçon. Les femmes avaient été postées d’un côté du mur, les hommes de l’autre. Alors que Killian répétait ses dernières recommandations, David Honovan ne pouvait s’empêcher de penser à Anaïs. Sa douce Anaïs qui s’était lancée dans cette expérience quelques mois auparavant et qui n’en était jamais revenue. Anaïs qu’il avait si peur d’oublier, alors il s’était décidé à la rejoindre. Il déglutit bruyamment quand il vit l’assistant de Killian, un dénommé Tom (Enzo Kanno) qui avançait en direction des hommes, une seringue à la main, injectant un sédatif puissant. Une fois arrivée à sa hauteur, il place la seringue au niveau de son artère. Il est trop tard pour regretter votre choix, Mr Honovan. Et croyez moi, vous éprouverez énormément de remords.
Le dernier visage qu’Amanda réussit à distinguer fut celui de Patti (Nadia Fusco), celle qui l’avait endormie. Il fut également le premier qu’elle vit, une fois arrivée de l’autre côté. Ici, tout n’était que glace et neige alors que dans la vie, jamais ils n’avaient pu avoir autant froid. Son corps était entouré d’une brume épaisse empêchant de distinguer ses formes et ses yeux avaient viré au rouge sang. De nombreuses personnes autour d’elle faisaient les mêmes constats, visiblement paniquées. Plus loin, des hommes sortirent de terre, et elle reconnut même le visage de certains. Tous étaient des membres de l’Académie. Patti se tenait debout sur un rocher, au milieu de tous et elle fut très vite rejointe par Tom. Les âmes se regroupèrent autour de ce point de rencontre et écoutèrent brièvement les dernières règles. Ne perdez jamais votre pendentif. Il est le symbole des étudiants de l’Académie. Si vous le perdez, les forces armées auront pour ordre de vous tirer dessus et nous ne pourrons pas les en empêcher. Mais personne n’y prêtait attention. Tous essayaient d’imprimer en leur mémoire les environs.
Le professeur Killian faisait les cents pas dans son bureau. Désormais, ils devaient tous être arrivés. Il savait que Tom et Patti les guideraient à leur arrivée et les abandonneraient à eux même pour rapidement revenir du côté des vivants. Ses deux assistants avaient clairement reçu pour consigne de ne pas les informer. Ils ne devaient pas savoir. Killian s’avança vers le bout du couloir en continuant de réfléchir. La guerre entre Ciels et Enfers avait lieu depuis des années. Les Terres Glaciales étaient un No Man’s Land auquel personne n’avait accès. Dès que quelqu’un se rendrait compte de la présence des étudiants de l’Académie ici, les deux camps chargeraient, provoquant plus de victimes que nécessaire. Mais Killian s’en réjouissait. Après tout, n’était il pas le créateur ? N’était-ce pas à lui de décider de qui devait vivre ou mourir ? Lui seul avait réussi à percer les mystères de la mort. Alors, c’est à lui que revenait son contrôle. Jamais personne n’avait osé le défier.
Patti et Tom étaient désormais revenus. Les deux étaient en proie à une intense panique. Le système leur échappait. Honovan. Il ne tiendra pas. Il tentera de s’échapper et emmènera de nombreuses personnes avec lui. On l’a senti lors du transfert. Il cherche Anaïs et quand il s’apercevra qu’elle n’est pas là, il voudra s’enfuir. Killian accusa le choc. Aucun des tests qu’avait subi Honovan ne montrait qu’il tenait encore à la jeune femme. Il n’y parviendra pas. Et vous ferez ce qu’il faudra pour que ça n'arrive pas ! Il quitta son bureau précipitamment et s’avança vers une porte métallisée. Il l’ouvrit rapidement et tira très légèrement la porte vers lui, pour ne pas laisser le temps à la personne enfermée à l’intérieur de s’échapper. Il rentra, seul, dans la pièce noire. Il fit quelques pas, saisit une mèche de cheveux qu’il caressa lentement tandis que sa victime gémissait de terreur. Le moment était venu pour eux de retourner de l’autre côté.
Anaïs. Anaïs. Anaïs.
Le seul moyen de s’en sortir, c’est de brûler son âme.
Sorti le 24 janvier 2020